RÉVISION DES PERMIS

Silence radio sur les exportations d’armes vers Riyad

Ottawa — Cela fera exactement six mois jour pour jour aujourd’hui que Justin Trudeau a annoncé qu’Ottawa avait enclenché une révision des permis d’exportation d’armes et de matériel militaire vers Riyad. Depuis, c’est silence radio.

« Je peux annoncer que nous sommes en train de réviser les permis d’exportation vers l’Arabie saoudite », avait clamé le premier ministre au parlement le 25 octobre 2018, dans la foulée du meurtre sordide du journaliste dissident Jamal Khashoggi.

Il avait prévenu toutefois du même souffle qu’il faudrait « des milliards de dollars » pour résilier le contrat de véhicules blindés légers de 15 milliards de dollars conclu en 2014 entre l’entreprise ontarienne General Dynamics Land Systems et le régime saoudien.

Le gouvernement se fait très avare de détails sur la façon dont l’examen progresse. Chez Affaires mondiales Canada, on a transmis hier à La Presse la même réponse que le 28 mars dernier.

« Comme nous l’avons déjà dit, nous examinons les autorisations d’exportation vers l’Arabie saoudite et aucune décision finale n’a été prise », a écrit dans un courriel Sylvain Leclerc, porte-parole au Ministère.

On refuse par ailleurs de préciser combien de dossiers sont à l’étude. « Pour des raisons de confidentialité commerciale, nous ne pouvons dévoiler le nombre de permis faisant l’objet d’une révision », a-t-il ajouté.

Le NPD regrette la « tergiversation »

Au Nouveau Parti démocratique (NPD), on s’explique bien mal cette lenteur à agir. « Des partenaires comme l’Allemagne ont bougé beaucoup plus vite, et nous, de notre côté, on continue à tergiverser », regrette le député Guy Caron en entrevue avec La Presse.

« J’ai beaucoup de difficulté à croire que ça prend autant de temps pour évaluer la pertinence [du maintien] de permis d’exportation », enchaîne-t-il, notant que le royaume utilise aussi des armes au Yémen, où il mène une guerre par procuration.

Le professeur de droit et ex-député bloquiste Daniel Turp, qui a récemment encaissé une défaite en Cour suprême dans sa tentative de faire casser la décision d’accorder les licences d’exportation, partage le même sentiment.

« Il y a un problème de transparence. Les semaines et les mois s’écoulent, et on n’a aucune idée de la position du gouvernement. On est encore dans le noir. »

— Daniel Turp, en entrevue téléphonique

Une source gouvernementale a soutenu hier qu’aucun nouveau permis n’avait été signé depuis octobre 2018, comme l’avait promis la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, l’automne dernier.

Cette même source a signalé que la révision « [prendrait] encore probablement du temps ».

On ignore donc si le verdict tombera avant les élections d’octobre, voire avant l’ajournement des travaux parlementaires.

S’il juge qu’il est « encore temps » de « mettre fin » aux exportations vers Riyad, Daniel Turp « ne se fie plus aux conservateurs [sous qui le contrat de blindés légers a été conclu en 2014] ni aux libéraux [sous qui les licences ont été accordées] » pour mener le combat.

Il s’en remet à « la pression de la société civile, les pressions des ONG », car ce sont ces pressions qui « un jour feront comprendre au gouvernement que vendre des armes à l’Arabie saoudite, ce n’est pas acceptable », argue-t-il.

Au Parti conservateur, on est toujours resté en retrait de la discussion. Alors que le débat faisait rage l’automne dernier, après le meurtre de Jamal Khashoggi, jamais le chef Andrew Scheer n’avait voulu dire s’il fallait déchirer l’entente.

On s’est prévalu du même droit de réserve hier. « Erin O’Toole [porte-parole en matière d’affaires étrangères] ne souhaite pas commenter. On va probablement attendre que le gouvernement annonce quelque chose », a écrit à La Presse l’attachée Virginie Bonneau.

permis gelés en 2017

Le gouvernement libéral a suspendu en 2017 deux permis d’exportation vers l’Arabie saoudite : ceux de l’entreprise Terradyne Armored Vehicles, qui construit des blindés Gurkha, ont été gelés le temps de faire enquête. On soupçonnait le régime du prince héritier Mohammed ben Salmane d’avoir utilisé ce modèle pour réprimer la minorité chiite dans l’est du pays.

Quatre mois plus tard, les exportations ont repris, et ce, même si les fonctionnaires canadiens ont écrit dans leur rapport qu’il était « raisonnable de s’attendre » à ce que le royaume « continue à utiliser des risques de sécurité pendant la conduite d’opérations sécuritaires internes légitimes » comme celles ayant éveillé des soupçons.

Justin Trudeau a fait référence à cette interruption temporaire pour faire valoir que son gouvernement pourrait bien répéter ce geste. Car la suspension de permis offre « un levier pour exiger plus de réponses de l’Arabie saoudite », disait-il en octobre.

Nomination des juges

Ottawa défend l’utilisation d’une base de données libérale

OTTAWA — Le bureau du premier ministre Justin Trudeau défend son utilisation d’une base de données partisane dans le processus de nomination des juges en assurant que le recours à l’outil appelé Libéraliste ne teinte pas le choix des candidats.

Le quotidien The Globe and Mail a rapporté hier que le bureau du premier ministre utilisait une banque de données privée du Parti libéral du Canada (PLC) lors du processus de sélection visant à pourvoir un poste à la magistrature.

Cet outil « de gestion des contacts et d’identification des électeurs », comme le décrit le PLC, est utilisé à des fins partisanes, notamment lors d’une campagne électorale.

« Les activités ou les dons de nature politique n’ont aucune incidence sur la candidature ou la sélection d’une personne pour un poste à la magistrature », a plaidé dans un courriel l’attachée de presse du premier ministre, Chantal Gagnon.

« Notre gouvernement a nommé des gens ayant participé à des activités ou au financement de tous les partis politiques », a ajouté Mme Gagnon, et « toutes les nominations judiciaires sont faites en fonction de notre nouveau processus ouvert, indépendant, transparent et fondé sur le mérite ».

Le bureau du premier ministre fait aussi valoir qu’« étant donné la grande attention que la population accorde aux personnes nommées à une charge publique, tous les candidats font l’objet d’un examen avant d’être nommés », et que l’on examine notamment « toute couverture médiatique ou activité politique auxquelles [les candidats] sont liés ».

« Il est courant de voir les journalistes et les députés questionner publiquement les personnes nommées par le gouvernement au sujet de leurs activités et allégeances politiques. Par conséquent, il est normal et acceptable de se préparer à répondre à ces questions et comprendre sur quoi elles pourraient porter », a illustré Chantal Gagnon.

BEAUCOUP DE DONATEURS

Toujours selon The Globe and Mail, le quart (25 %) des 289 juges nommés ou promus au Canada depuis 2016 ont fait des dons au PLC, alors qu’environ 6 % ont donné au Nouveau Parti démocratique (NPD), au Parti conservateur et aux verts. Des sommes versées par ces juges, quelque 321 650 $, soit 91 % de la somme totale, sont allés aux libéraux.

Les libéraux de Justin Trudeau ont promis, lors de la campagne électorale de 2015, de rendre le processus de nomination des magistrats « transparent, inclusif et responsable », ouvert et « fondé sur le mérite », pour se démarquer du processus en vigueur sous le précédent gouvernement de Stephen Harper, qui était plus opaque.

« C’est clairement partisan, c’est clairement une vérification basée sur la loyauté libérale et non sur le mérite, et c’est aussi une rupture de la promesse de transparence et d’ouverture », a réagi l’ancien ministre conservateur de la Justice Peter MacKay, en entrevue avec La Presse.

« Ce n’est pas étonnant, par contre. Il y aura toujours des considérations partisanes dans les nominations. C’est impossible à éliminer. Mais ça ne devrait pas être le facteur principal dans la prise de décision. »

— Peter MacKay

Pendant l’ère Harper, « quelques » magistrats d’allégeance conservatrice ont été désignés, a concédé M. MacKay. Mais « certainement pas avec une liste comme celle-là [le Libéraliste] », a-t-il fait valoir.

Au bureau du ministre de la Justice, David Lametti, on assure que « toutes les nominations à la magistrature sont faites sur la base du mérite ».

« Lorsqu’il examine les candidats à recommander au cabinet, le ministre prend en compte un certain nombre de facteurs », a expliqué dans un courriel le directeur des communications, David Taylor. « Les citoyens sont libres de faire des dons à n’importe quel parti politique de leur choix. Cela inclut les membres du Barreau. Notre processus de nomination à la magistrature n’empêche ni ne privilégie un candidat en raison d’un don permis par la loi à un parti politique », a-t-il ajouté.

colère dans L’opposition

Le NPD est loin de souscrire à l’argumentaire du bureau du premier ministre, qui ressemble davantage à « une excuse plantée a posteriori », selon le député Alexandre Boulerice. « On a vraiment l’impression que c’est le bon système des libéraux qui donnent de bons emplois à leurs copains libéraux », a-t-il précisé.

« C’est étonnant parce que là, on vient mélanger non seulement le politique et le judiciaire, mais on ajoute le partisan au politique », a déploré le député néo-démocrate.

« C’est un parti politique qui utilise sa base de données pour faire des vérifications auprès de gens qui sont censés être dans un processus de nomination complètement indépendant. » 

— Alexandre Boulerice

Le NPD songe d’ailleurs à interpeller le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique à propos de cette affaire. « [La donnée] de 25 %, c’est énorme, a lancé M. Boulerice. Le résultat est tellement astronomique par rapport à ce que serait la moyenne réelle dans une population normale que ça défie tout entendement. »

Pour le Bloc québécois, l’affaire a des relents du scandale des commandites. « On dirait que les libéraux n’ont tiré aucune leçon », s’est insurgé le député Rhéal Fortin, qui lance aussi la pierre aux conservateurs. « Ces vieux partis […], on dirait qu’une fois qu’ils sont élus, ils se comportent comme si le gouvernement leur appartenait. »

La formation politique est claire : « Ce que les candidats ou candidates à des postes juridiques ont pu donner en souscriptions politiques ou leur implication ne devrait jamais être pris en considération » lors du processus de sélection. Pour M. Fortin, ce genre de vérification est « non pertinente », et s’y adonner est carrément « odieux ».

Le Parti conservateur n’a pas souhaité commenter la nouvelle.

Vérification pertinente ?

Geneviève Tellier, professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, s’interroge également sur la pertinence ou la nécessité de vérifier si un candidat à la magistrature a fait des dons à des partis politiques par le passé ou a déjà été membre d’une formation politique.

« Si on nous dit que ça peut être un problème et qu’il faudrait voir les antécédents – et la question se pose tout à fait –, eh bien, qu’on vérifie, mais par contre, qu’on le fasse de façon officielle, qu’on en fasse un critère objectif pour nommer des juges, a-t-elle expliqué. Mais on ne peut pas faire ça à partir d’une base de données libérale. »

« Ce que ça envoie comme image, c’est qu’on veut peut-être prendre des décisions qui sont en notre faveur. Et donc, il faut faire attention avec ça, surtout de la part d’un gouvernement qui dit vouloir faire les choses mieux que les autres », a souligné Mme Tellier.

Le NPD croit aussi que si une vérification s’impose, elle peut « facilement » être exécutée par « n’importe quel haut fonctionnaire ».

environnement

Une nouvelle ligne de fracture se dessine entre Ottawa et Québec

Ottawa — Après l’immigration et la laïcité, l’environnement : une nouvelle ligne de fracture se dessine entre le gouvernement Legault et le gouvernement Trudeau, alors que le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, exprimera les réserves de Québec à l’égard d’un projet de loi d’Ottawa.

Le ministre Charette sera entendu demain matin à Québec par le Comité sénatorial de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, qui a fait une tournée aux quatre coins du pays pour recueillir les témoignages sur le projet de loi C-69, rebaptisé le « no more pipelines bill » par les conservateurs à Ottawa.

La mesure législative confierait l’évaluation de projets à une nouvelle entité, l’Agence canadienne d’évaluation d’impact, élargirait les consultations et interdirait aux promoteurs de réaliser tout projet susceptible de causer des effets néfastes sur l’environnement ou la santé.

À en croire l’argumentaire que développe le ministre Charette dans une lettre qu’il a envoyée à la présidente et au vice-président du comité sénatorial, il apparaît qu’il fera état de son insatisfaction à l’égard des dispositions de ce projet de loi qui viendrait concrétiser une importante promesse électorale de Justin Trudeau.

« De prime abord, le Québec souhaite rappeler que, de manière générale, les projets intraprovinciaux relèvent principalement de la compétence constitutionnelle des provinces », écrit le ministre dans cette missive datée du 5 février dernier obtenue par La Presse.

Le gouvernement caquiste constate que le nouveau processus d’évaluation des impacts proposé par le gouvernement fédéral « apparaît très difficilement conciliable avec les procédures québécoises », car il mettrait à mal le principe « un projet, une évaluation » préconisé au Québec, plaide Benoit Charette dans sa lettre.

Dans ses commentaires détaillés, il précise que la réhabilitation des sites miniers ne devrait pas être assujettie à la procédure fédérale, et qu’il faudrait en exclure les lignes interprovinciales et internationales de transport d’électricité, qui n’ont « assurément pas des impacts environnementaux comparables à ceux des projets de pipelines ».

La procédure fédérale pourrait en revanche être utilisée pour les projets « sur lesquels Ottawa détient une compétence principale sur l’ouvrage », note Benoit Charette. Il cite en exemple les projets d’oléoducs interprovinciaux ou encore les projets portuaires.

Le ministre déplore par ailleurs dans sa lettre le peu d’écoute dont a fait montre son homologue fédérale, Catherine McKenna. Car « pour l’essentiel », les demandes québécoises transmises au début du mois de juin « ne se reflètent pas dans le projet de loi » adopté aux Communes le 20 juin, souligne-t-il.

RÉPLIQUE DE McKENNA

La ministre McKenna lui a répondu quelques jours plus tard. « Je tiens à vous assurer de l’engagement de notre gouvernement à l’égard d’un système efficace et prévisible qui réponde aux exigences législatives et respecte les compétences du Québec et du Canada », a-t-elle signalé dans une lettre du 11 avril qu’a pu consulter La Presse.

Elle y précise que le fédéral adhère au principe « un projet, une évaluation » et que celui-ci serait suivi dans le cas de projets qui pourraient se trouver sur le territoire couvert par la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, en collaboration avec le Québec et les Inuits ou les Cris.

La réplique a-t-elle rassuré Québec ? Au bureau du ministre Charette, hier, on n’a pas voulu spécifier si les points soulevés dans la missive du 5 février le seraient demain matin à Québec ou si le ton serait moins ferme. « Disons simplement qu’on ne va pas là pour les féliciter ou leur donner une tape dans le dos », s’est-on contenté d’offrir.

DES AMENDEMENTS « À 100 % »

La mesure législative C-69, qui tient sur 392 pages, a été avalisée par la majorité libérale en Chambre, mais elle promet de se heurter à une vive opposition au Sénat. « C’est certain à 100 % qu’il y aura des amendements », a soutenu en entrevue avec La Presse le sénateur conservateur Claude Carignan.

« Sur la question du champ de compétence, je pense bien [qu’il y en aura]. C’est le rôle du Sénat de protéger cela, et je ne me souviens pas d’un représentant de province qui est en faveur de la loi telle que rédigée », a-t-il argué.

C-69 fait partie des 13 projets de loi gouvernementaux actuellement à l’étude à la chambre haute qui doivent être adoptés avant l’ajournement des travaux de cette 42e législature, selon une entente intervenue entre les leaders des différentes factions au Sénat.

Ce projet de loi est particulièrement impopulaire dans l’ouest du pays. C’est d’ailleurs en grande partie afin de le pourfendre qu’un convoi de camionneurs pro-pipelines venu de l’Alberta a investi la rue Wellington, en face du parlement, pendant deux jours en février dernier.

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